PETIT MOT D’UN COMPAGNON
La complainte des deniers
N’avez-vous point entendu notre belle histoire? Les moulins la portent sur leurs ailes et la diffusent aux vents, les chapelles, les châteaux et les vieilles fermes aiment à se raconter cet épisode, celui de ces compagnons de l’Abbé. Quand un jour, ils nous ont ramassées, remisées au fond d’une vieille boite en carton défraîchi, ou bien était-elle en fer blanc rouillé, puis presque oubliées, au milieu de vieux papiers, d’anciens tableaux, de vieilles robes de mariée et autres bibelots, et le tout dans des meubles antiques, ternes et mités, nous avons tremblé, nous avons craint de tomber à nouveau dans l’oubli, encore et encore. Alors de quoi ? C’était jour de rangement, de tri et de nettoyage, la grande vente de Noël approchait, tous s’activaient, fièvre palpable mêlée d’enthousiasme. Nous avions déjà échappé de justesse à la déchetterie, fosse d’indifférence. Alors, quand une main nous a saisies, nous avons frémi, ce peut-il que ces compagnons, contrairement à l’usage qu’il s’en dit en tous lieux et de tout temps, ne soient pas, simplement de petites gens ignares et incultes, vivant de paradis artificiels, tristes et pauvres hères? Aussi, quand cette main nous pris, nous avons vu dans le regard de ces hommes, cette lueur, vive de curiosité, brillante d’intérêt, attirée par l’instinct peut-être vénal, mais à bien y réfléchir, sûrement salvateur pour nous. A n’en point douter, ces compagnons d’Emmaüs, sont, tous réunis, d’une richesse incroyable, nul doute un vrai vivier de compétences, d’acquis et de connaissances, chacun à leur tour avec leurs expériences sont une force, un relais pour nous les rebuts enfin éloignés de la perte et destinés à tous, pauvres et aisés, amoureux du beau et de la culture. Il leur fallut quelque temps pour nous connaître, nous découvrir, plusieurs semaines de recherches et d’échanges entre eux et avec le monde extérieur, où se confondait Histoire, théologie et surtout un monde que d’aucuns leurs auraient refusé, antiquité et monnaies anciennes, patrimoine et bien d’autres domaines encore.
Par un bel après-midi, ils nous ont revendu à un amateur, comprenez bien, celui qui aime, seulement et simplement. Quelque part, s’ils vivent de leur labeur, c’est un peu grâce à nous, si tant est qu’ils utilisent leur savoir-faire pour nous reconnaître d’un coup d’œil.
Nous continuons à écouter dans le vent, les paroles des moulins, des châteaux, des chapelles et des vieilles fermes, ils nous narrent une nouvelle histoire de ces compagnons, une aventure de vieux papiers, vous savez, ceux sur lesquels, jadis, on écrivait encore à la plume. Que découvriront-ils encore grâce à leur savoir-faire ? Un meuble d’époque, le costume d’un soldat, une vieille radio ou bien encore le tableau d’un grand maître, tout simplement de vieux outils…
Si ces compagnons tentent de conserver leur dignité et leur âme, ils nous rendent nos vies. Et par la grâce, de perdurer notre histoire, qu’ils n’aient de cesse. Ainsi, de la part de monnaies anciennes, de deniers en argent du XII e siècle à l’effigie de Saint Mayeul.
Stéphane, compagnon